ÉVéNEMENTS

Compte rendu : Visite de l’exposition « Made in France » aux Archives nationales

21 janvier 2025

En ce mardi froid et ensoleillé, notre petit groupe se retrouve devant le magnifique Hôtel de Soubise qui abrite le musée des Archives Nationales. Grâce à Lucile, nous avons le privilège de visiter l’exposition temporaire « Made in France. Une histoire du textile », guidés par la commissaire scientifique de l’exposition, Alexia Raimondo. Après avoir traversé la cour entourée de son péristyle, le visiteur est accueilli par un imposant escalier, coiffé pour l’occasion de lés de tissus (cf. photo) prêtés par la maison Pierre Frey, un des mécènes de l’exposition.

Notre conférencière revient d’abord sur la genèse de cette exposition qui est l’aboutissement d’un long travail. En 2018, les archivistes ont entrepris de recenser les échantillons de textile contenus dans la sous-série F12 (consacrée au commerce et à l’industrie). Le dépouillement des 13 600 boites a été long mais fructueux et méritait d’être présenté au public pour témoigner de l’importance de l’industrie textile en France depuis Colbert.

L’exposition présente de façon chronologique l’action de l’Etat du XVIIème siècle jusqu’à l’effondrement de l’industrie textile en France dans la seconde moitié du XXème siècle. Elle est structurée en quatre sections que la scénographie permet aisément de différencier.

La 1ère partie, intitulée « l’invention de la qualité française », s’ouvre sur une carte (cf. photo) qui permet de constater qu’au XVIIIème siècle, les industries textiles sont réparties sur quasiment tout le territoire français. Leur essor est dû à la volonté du contrôleur général des finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, de limiter les importations de tissus en développant la production locale. Dès 1669, il fait édicter de nombreux règlements sur la fabrication des draps et la teinture. En 1686 il fait interdire le commerce des « indiennes » (toiles de coton imprimés provenant d’Inde). Il instaure des bureaux de marque pour certifier la qualité des tissus, créé un corps d’« inspecteurs des manufactures » dont les rapports permettent à l’Etat d’avoir une excellente connaissance de la production nationale. Ce sont ces rapports, conservés aux Archives Nationales, qui forment le socle documentaire sur lequel s’appuie l’exposition.

Notre guide nous rappelle les trois types de manufactures qui existent à l’époque : les rares manufactures appartenant directement au roi (par exemple les Gobelins), les manufactures ayant reçu un privilège du roi et qui bénéficient donc d’une exclusivité, ne sont pas assujetties aux taxes ni au contrôle par les inspecteurs (par exemple la manufacture d’Oberkampf), et enfin les manufactures géographiques, soit un regroupement d’entreprises produisant un type particulier de tissu (par exemple la fabrique lyonnaise).

Sous Louis XV et Louis XVI, l’Etat finance généreusement les innovations dans le domaine textile. Des privilèges royaux sont offerts aux plus habiles artisans étrangers pour qu’ils implantent des manufactures en France, comme par exemple à l’Anglais John Bodger, inventeur de la soie moirée.

La 2ème section de l’exposition s’intéresse aux « ruptures », principalement politiques, et à leurs conséquences sur l’industrie textile. A la faveur de la révolution, on va abandonner les règlements de Colbert ainsi que le système des corporations dans le but de libéraliser le marché. C’est également la fin du corps des inspecteurs des manufactures. En 1798, le Premier Ministre propose d’organiser des expositions des produits de l’industrie à Paris, afin, d’une part, de combler le manque d’informations qui découle de la disparition des rapports des inspecteurs, et d’autre part, de récompenser les meilleurs producteurs.

En 1791, sont mis en place les brevets d’invention, Joseph-Marie Jacquard en recevra un en 1801 pour sa célèbre mécanique (encodage de motifs sur des cartes permettant la production en masse).

Napoléon joue également un rôle très important pour l’industrie textile, notamment en mettant en place le blocus contre les matières premières en provenance d’Angleterre en 1806. En privant ainsi les manufactures françaises de teintures telles que l’indigo ou le curcuma (en provenance d’Inde), il encourage les recherches sur les substituts. Il stimule également l’industrie par ses importantes commandes, notamment pour remeubler Versailles.

Dans la scénographie, les poutres métalliques se substituent aux poutres de bois pour accompagner le passage à la 3ème partie, consacrée à la révolution industrielle. L’Etat s’intéresse enfin aux conditions de travail dans l’industrie textile, à la toxicité des produits (par exemple l’arsenic utilisé pour obtenir une couleur verte) mais aussi au travail des enfants, très répandu. En 1841, on interdit certes le travail des enfants, mais seulement de moins de 8 ans et cette interdiction ne concerne que les usines de plus de 20 salariés et n’est pas contrôlée. Il faudra attendre 1868 et la création d‘un corps d’inspecteurs m ais surtout 1882 et la mise en place de l’école obligatoire jusqu’à 13 ans, pour que les enfants quittent les usines.

L’industrie textile continue à intéresser l’Etat. Les expositions universelles lui font la part belle, celle de 1900 consacre un « palais » aux fils et aux vêtements.
Nous changeons de pièce pour la dernière partie de l’exposition, consacrée au « textile français face à la mondialisation ». Pendant les deux Guerres Mondiales, l’Etat aura un rôle dirigiste, réquisitionnant les industries pour fournir l’armée et organisant un système de rationnement pour les civils. Dans la première partie du XXème, sont promus les fibres synthétiques à base d’hydrocarbures comme le nylon (inventé aux Etats-Unis par DuPont de Nemours) ou encore l’acrylique. Ces tissus sont révolutionnaires et sont censés accompagner la libération de la femme par leur facilité d’entretien. Progressivement, les organismes de protection des consommateurs rendent obligatoire l’étiquette de composition (1963) puis harmonisent les pictogrammes servant d’indications d’entretien.

La crise pétrolière de 1973 vient mettre un coup d’arrêt à la production française, qui n’est pas soutenue par l’Etat (qui encourage plutôt la délocalisation). En 1974, les accords multifibres sont chargés de protéger les industries textiles des pays dits « développés » de la concurrence des pays à main d’œuvre peu coûteuse par le biais de quotas d’importation. Ceux-ci seront progressivement levés à partir de 1995. Les conséquences se font vite sentir : plans sociaux et dépôts de bilan s’enchainent. A la fin des années 1990, l’industrie textile française n’emploie plus que 200 00 personnes alors qu’elle avait représenté jusqu’à 800 000 emplois.

Afin de ne pas laisser le visiteur sur cette note pessimiste, l’exposition propose, en guise d’épilogue, des réflexions sur le rôle que peuvent jouer l’Etat mais aussi le consommateur sur l’évolution du secteur. Notre guide estime que l’industrie textile est à un point de bascule, notamment du fait de la prise de conscience écologique. Comme pistes positives, elle cite la mise en place de l’écobalyse, qui permet de calculer le coût environnemental des produits distribués en France ou encore le retour de la filière du lin en France. Ainsi s’achève une visite très instructive et haute en couleurs dans un lieu somptueux. Elle peut être prolongée par une déambulation à travers des salons d’époque, dans lesquels sont installées des œuvres de la plasticienne et brodeuse Anaïs Beaulieu, réalisées à partir de matériaux de récupération (cf. photo du sac en plastique brodé).

Rédaction: CD